L’agriculture intensive
L’agriculture intensive
Les premières grandes civilisations antiques (Égypte, Mésopotamie, Perse, Chine) et certains états modernes, jusqu'à des dates assez récentes (Chine), comptaient au moins 80% d'agriculteurs. C'était une agriculture biologique, familiale ou collective, parfois esclavagiste, associant le travail musculaire, animal et humain, à une fertilisation des sols par la fumure organique. La lutte contre les parasites des plantes cultivées et contre l'épuisement des sols était assurée, tant bien que mal, par une rotation des cultures sur chaque champ, selon des schémas traditionnels, empiriques et adaptés à chaque région. La polyculture–élevage existait encore dans les campagnes alsaciennes jusque vers 1970. L'apparition de l'agriculture intensive (ou chimique, ou productiviste) après la deuxième Guerre Mondiale (1939–1945), fondée sur la mécanisation (tracteurs), l'emploi d'intrants chimiques de synthèse (engrais, pesticides), la spécialisation des exploitations, et sur la sélection génétique des plantes et des animaux les plus rentables, a abouti à un exode rural massif. Les agriculteurs ne représentaient plus que 2,6% de la population active alsacienne en 2000 (services : 64,5% ; industrie : 32,9%). Cette mutation a de nombreuses conséquences sociales. Un retour en arrière est difficile, d'autant plus que beaucoup d'agriculteurs ont un revenu inférieur au SMIC. Pourtant, l'agriculture intensive n'est pas durable, compte tenu – entres autres – de l'épuisement progressif des ressources en hydrocarbures et de leur renchérissement, prévisible, d'ici 10–20 ans. Loin d'être rentable, cette agriculture ne survivrait pas sans une panoplie d'aides étatiques et européennes (Politique Agricole Commune, PAC, récemment modifiée dans un sens encore plus productiviste). Le gazole est déjà vendu aux agriculteurs français a un prix inférieur à celui du marché. La production de chaque grain de céréales exige entre 4 et 10 unités d'énergie fossile, non renouvelable, pour une unité d'énergie provenant de la photosynthèse (énergie solaire, renouvelable). Les 2/3 des récoltes ne servent qu'à nourrir des animaux d'élevage ou de compagnie (chiens et chats : 131 millions aux USA, un secteur qui rapporte 30 G$/an, en constante augmentation ; et les Français sont les champions de l'animal de compagnie). Pourtant, dans le monde, en 2006, 46% des personnes actives sont des agriculteurs, et ce pourcentage est en augmentation !
Nous consommons trop de tout, en particulier des viandes et des produits lactés provenant d'animaux élevés hors sol (bovins en stabulation, porcs, volailles). Le diabète et l'obésité progressent rapidement dans les populations des pays riches, sans compter d'autres maladies. L'utilisation de protéines animales (farines de viande, produites par les équarisseurs) pour nourrir des animaux exclusivement phytophages, comme les vaches à lait, a abouti à une épidémie de « maladie de la vache folle », dont l'agent infectieux (toujours inconnu à l'heure actuelle) s'est propagé (par des voies également mystérieuses) jusqu'à l'homme, provoquant une maladie mortelle (variante de maladie de Creuzfeld-Jacob, anciennement découverte chez des cannibales d'Indonésie). Cette épidémie a ruiné beaucoup d'éleveurs européens. Ne faisons pas de nos bovins des cannibales !
La poursuite de l'agriculture intensive dans certaines régions comme l'Alsace condamnera la majorité des habitants à payer leur eau encore plus cher, du fait de la pollution généralisée de la nappe phréatique rhénane, amenant à traiter cette eau dans des usines. La première installation de ce genre, encore assez simple (passage sur charbon actif), a été mise en place au printemps de 2003. L'apparition d'un insecte ravageur du maïs durant l'été 2003, la chrysomèle, a conduit l'État a ordonner le traitement massif des champs soupçonnés de contamination, par la deltaméthrine, un insecticide à large spectre, mortel pour toute la faune en dehors des oiseaux et des mammifères, deltaméthrine pulvérisée en majeure partie par la voie aérienne (hélicoptères), à proximité des villages. Ce qui a suscité de la part des élus locaux et de la population, soutenus par Alsace Nature, une vive réaction. Ces habitants ont ainsi pu constater que leur santé ne pèse pas bien lourd lorsque les intérêts des agriculteurs sont en jeu. Qu'ils s'en souviennent, une fois l'alerte passée ! Le pire serait d'en tirer parti pour recommander l'introduction de maïs transgénique (OGM).
L'agriculture biologique, malgré la faiblesse et les aléas indéniable de sa productivité, est la seule alternative viable. Elle nourrissait les Alsaciens avant la deuxième Guerre Mondiale, il est vrai moins nombreux. Mais il faudra accepter d'en payer le prix : produits plus chers, protectionnisme, vente directe, etc. Ce qui pose un énorme problème politique (celui de la réforme de la PAC, entre autres). Tous les efforts pour assurer la pérennité de l'agriculture intensive à travers des campagnes d'innovations techniques et d'information professionnelle (« Fertimieux », etc.) s'avèrent impuissants à renverser la tendance. En outre, il est clair qu'il est impossible de faire coexister les deux sortes d'agriculture, car l'une pollue les champs et les produits de l'autre (devinez laquelle !). Il faudra naturellement davantage d'hectares de bonne terres à cultiver pour les agriculteurs biologiques, donc arrêter de bétonner (urbanisation, maisons individuelles, routes comme le Grand Contournement Ouest de Strasbourg…).
Crise prochaine de l'énergie : et les biocarburants ? La question est déjà réglée, les calculs sont faciles : c'est une pure illusion ! Qui plus est, en continuant à faire marcher nos tracteurs au gazole, nous nous privons d'une certaine quantité de nourriture dans l'avenir et nous nous condamnons à fournir un grand effort musculaire supplémentaire (calculs faits aux USA, pour une consommation de 30 gallons par mile) : chaque mile vaut 1 kg de pain, soit 23 heures de travail musculaire ; 1 kg de bœuf vaut 76,2 miles, soit 300 heures de boulot. Bon courage ! Voir l'article du Devoir (25/03/2007)
Crise prochaine de l'énergie, crise de l'eau (en quantité et en qualité), les deux étant parfois liées, comme durant l'été sec de 2003 (refroidissement des centrales nucléaires, etc.), tout nous incite à transformer rapidement le mode de vie des Alsaciens. Les autres y pensent déjà. Et n'oublions pas le risque d'une troisième crise, climatique (gaz à effet de serre, trous dans la couche d'ozone).
Le rôle de l'agriculture est d'assurer la souveraineté alimentaire des habitants de chaque pays, c'est-à-dire une quantité suffisante d'aliments de qualité, suffisamment variés et permettant, par le stockage, de faire face aux fluctuations de la production (aléas climatiques et parasitaires). En principe, les exportations des produits de base (les céréales et leurs substituts amylacés, comme les pommes de terre ; les fruits et légumes, les huiles) doivent demeurer très marginales. Sur les 2 Gt (milliards de tonnes) de céréales produits chaque année en 2000-2006, seuls 210 à 220 Mt (millions de tonnes) sont exportés (10,5 à 11%). Les exportations de produits de luxe (vins et alcools, thé, café, cacao, agrumes, etc.) ont un rôle alimentaire réduit, ou nul (pour ne pas parler des drogues, comme le tabac !). La dépendance alimentaire des pays surpeuplés est un fait gravissime. L'aide alimentaire ou les subventions à l'exportation jouent souvent le rôle d'armes alimentaires, capables d'anéantir l'agriculture locale des pays pauvres, les rendant complètement dépendants des pays riches. L'OCDE évalue à 235 milliards de dollars US les subventions agricoles versées en 2002 par les pays exportateurs à leurs propres agriculteurs. Ces subventions sont justifiées lorsqu'il s'agit de sauvegarder l'agriculture nationale en vue d'assurer la souveraineté alimentaire, mais elles sont perverses lorsqu'elles constituent un « dumping » à l'exportation et écrasent l'agriculture des pays moins fortunés, créant ainsi une dépendance alimentaire. En corollaire, il incombe à chaque pays de contrôler sa démographie pour en fonction de sa capacité de production agricole. Les moyens modernes de contraception le permettent. Il n'y a pas d'autre solution : la surface mondiale de terres agricoles travaillées, soit 1 500 Mha (millions d'hectares), est stationnaire, car on défriche chaque année à peine 15 Mha tandis que 13 à 14 Mha sont perdus par suite de la déprise agricole, de l'érosion, de la désertification, de la salinisation due à l'irrigation, et de la consommation du territoire par l'urbanisation et la construction de nouvelles infrastructures (voies de communication). La surface des forêts diminue sans cesse dans le monde. L'agriculture consomme 70 à 80% de l'eau douce disponible. Et le réchauffement climatique actuel risque d'accélérer la désertification et la pénurie d'eau douce.
La surconsommation de protéines animales dans ces pays « développés » et, du même coup, des graisses souvent malsaines fabriquées à partir du lait des ruminants (beurre, fromages trop gras), a des effets désastreux, non seulement sur la santé, mais sur les milieux naturels des pays tropicaux, généralement pauvres. La forte demande européenne en tourteaux de soja, source de protéines de très bonne qualité pour l'élevage intensif, conduit à l'extension des surfaces consacrées à la culture du soja au Brésil. Cette extension se fait aux dépens de la forêt amazonienne. Les Européens sont donc directement responsables de la destruction accélérée de cette forêt, depuis quelques années.
L'agriculture biologique est une alternative sérieuse du point de vue économique, social et surtout médical. Les arguments techniques plaident en sa faveur. En mai 2007, un rapport de l'Organisation des Nations Unies (ONU) pour l'alimentation et l'agriculture (Food and Agriculture Organization, FAO) recommande à tous les gouvernements de favoriser le développement de l'agriculture biologique et affirme que cette forme d'agriculture serait en mesure de nourrir toute la population mondiale.
L'agriculture intensive est sur le banc des accusés pour de nombreuses raisons, extrêmement graves :
•35% des cas de cancers sont attribués à une alimentation qualitativement et quantitativement anormale (280 000 cas de cancers apparaissent en France chaque année, provoquant 150 000 décès, d'après l'Institut national du cancer, 15/12/2004) ; sans parler de l'obésité et du diabète, maladies de toutes les sociétés d'abondance alimentaire, dont les cas se multiplient également
•aux USA, les agriculteurs qui travaillent selon les méthodes intensives ont 6 fois plus de cancers que les autres citoyens (Institut Bethesda, NY) : tumeurs au cerveau, leucémies
•l'agriculture est responsable de 16 à 18% des émissions de gaz à effet de serre (CO2, méthane, oxydes d'azote), contribuant aux risques de réchauffement climatique catastrophique qui est actuellement amorcé
•au niveau mondial, l'agriculture consomme 73% de l'eau potable, mais l'agriculture biologique en utilise 10 fois moins, alors que ses rendements sont supérieurs en cas de sécheresse (+ 30% pour le maïs)
•la France est le premier utilisateur de pesticides en Europe, 90% de ses rivières et les 2/3 de ses nappes phréatiques sont polluées par ces substances (en particulier les insecticides, neurotoxiques) ; chaque consommateur de produits non bios avale donc chaque année 1 kilo et demi de pesticides ! Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que la concentration des spermatozoïdes dans le sperme des hommes ait diminué de moitié en 50 ans, en Europe occidentale, ou même en 20 ans, en France !
•3% seulement des 100 000 produits chimiques commercialisés ont subi une évaluation scientifique de leur impact sur l'nvironnement et la santé
•83% des Français sont en faveur de l'agriculture biologique, alors qu'elle ne représente que 2% de la production agricole en France (contre 8% en Italie, 10% en Suisse) ; le célèbre cuisinier Jean-Pierre Coffe a rédigé des menus capables de nourrir un adulte pendant un mois pour seulement 100 €
